L’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) a pour objet l’harmonisation du droit des affaires dans les Etats-Parties par l’élaboration et l’adoption de règles communes de lois uniformes dans le domaine du droit des affaires pour les pays francophones d’Afrique à travers un système de droit communautaire contraignant pour les Etats-Parties assurant ainsi la sécurité juridique et judiciaire au sein de la zone.
Concrètement, il s’agit d’un ensemble de règles matérielles dit « Actes uniformes », directement applicables et obligatoires après leur adoption dans l’ordre juridique des dix- sept (17) Etats-Parties. Et ce, peu important toute disposition de droit interne contraire à l’instar des règlements de l’Union Européenne. Il existe à ce jour, dix matières ayant fait l’objet d’Actes uniformes (l’arbitrage, le droit commercial général, le droit des sociétés et des groupements d’intérêt économique etc.). Cependant, aucun de ces Actes uniformes ne traite du droit de la concurrence. Cela ressort-il d’une volonté du législateur OHADA ou d’un retard qu‘ il convient de rattraper ?
Il est important de préciser que le droit de la concurrence est une matière incontournable du droit des affaires. Dans un système d’économie de marché, la concurrence correspond à une situation caractérisée par la présence sur le marché d’acheteurs et de vendeurs en un nombre suffisant afin qu’aucune catégorie n’ait le pouvoir sur l’autre. Ceci permet d’éviter les abus de la part de la catégorie des offrants (les vendeurs) ou, des prix bas qui mettraient en cause la viabilité économique des vendeurs ou d’une partie d’entre eux.
La concurrence oblige à adapter l’offre à la demande ce qui permet d’assurer un rapport qualité-prix optimal, elle favorise le progrès économique, facilite l’innovation et la performance des entreprises : des objectifs partagés avec les politiques régionales de la concurrence et I’OHADA. En effet, l’intelligence juridique est un outil fort de maintien de l’entreprise en situation de concurrence, parce qu’elle suppose la définition d’une stratégie juridique axée sur le droit et l’innovation afin de rester compétitif. Ainsi, pour assurer le maintien de la concurrence il est nécessaire d’avoir dans l’arsenal législatif les règles garantissant une compétitivité des acteurs du marché.
Comme exposé précédemment, aucun Acte uniforme ne traite du droit de la concurrence et les quelques dispositions contenues dans l’Acte uniforme relatif au droit commercial général (les clauses de non-rétablissement, de non-concurrence) qui font penser à des règles de concurrence concernent uniquement la vente.
Néanmoins, à côté des Actes uniformes, il existe des textes communautaires qui prévoient des règles destinées à réguler le marché, en luttant contre la concurrence déloyale, et en sanctionnant les pratiques anticoncurrentielles :
– L’Annexe VIII de l’Accord portant révision de l’Accord de Bangui du 2 mars 1977 instituant une organisation africaine de la propriété intellectuelle. Cet Annexe intitulé « De la protection contre la concurrence déloyale » prévoient des règles sanctionnant des actes de confusion, de dénigrement ou même de désorganisation de l’entreprise ;
- La CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) avec le document portant cadre de la politique de la concurrence de la CEDEAO élaboré en 2007 répond à l’exigence de fournir les outils nécessaires pour garantir l’existence d’un marché concurrentiel et de définir les objectifs de la politique de la concurrence dans la CEDEAO.
- L’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) avec les articles 88, 89 et 90 de son traité fondateur posent les principes de base du droit communautaire de la concurrence par l’interdiction des ententes, des abus de position dominante et des aides d’État.
- La CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale), qui a adopté deux règlements en la matière:
- le Règlement n° 1/99/UEAC/CM/639 du 25 juin 1999 portant réglementation des pratiques commerciales anticoncurrentielles modifié par le règlement n° 12/05- UAC-639 du 25 juin 2005;
et
- le Règlement n°4/99/ UEAC/CM/639 du 18 août 1999 portant réglementation des pratiques étatiques affectant le commerce entre les États-Parties : texte communautaire déterminant le cadre général d’intervention de l’État pour la régulation des marchés, le suivi et le contrôle de la concurrence.
Selon Alexis Ndzuenkeu, Magistrat et Chef du Service des Affaires Juridiques et de la Communication au Secrétariat Permanent OHADA, « c’est l’existence d’un droit communautaire de la concurrence dans les deux grandes sous-régions (Afrique centrale et Afrique de l’Ouest) formant l’OHADA qui constitue l’obstacle premier à une réglementation uniforme de la matière ». En effet, le droit de la concurrence a même été, très tôt, inscrit au programme d’harmonisation du droit des affaires de l’OHADA (Décision n° 002/2002/CM du 23 mars 2001 du Conseil des Ministres relative au programme d’harmonisation du droit des affaires en Afrique : J.O. OHADA, n° 11, 1er janv. 2002, p. 32) avant d’en être retirée une quinzaine d’années plus tard (Règlement n° 01/2010/CM du 15 déc. 2010 : J.O. OHADA, n° 25, déc. 2011, p. 64).
Toujours selon M. Alexis Ndzuenkeu, « C’est pour des raisons d’opportunité et pour tenir compte de la coexistence d’autres organisations d’intégration sur le même espace géographique que le législateur OHADA s’est résolu à abandonner l’idée d’un Acte uniforme relatif au droit de la concurrence. »
En effet, l’adoption d’un Acte uniforme dans ces matières rendraient de facto caduques, les règles ou autres accords actuellement en vigueur. Du moins, pour les Etats-Parties de l’OHADA car pour rappel, l’Acte uniforme a pour objet d’être applicable de manière contraignante dans les pays concernés et ce, dès son entrée en vigueur et indépendamment de toutes autres règles internes.
C’est d’ailleurs ce qui est avancé par certains auteurs. D’autant plus que cela pourrait créer un véritable blocage entre certaines organisations communautaires et l’OHADA. A titre d’exemple, l’article 88 du traité de l’UEMOA, interprété dans les dispositions par la Cour de justice de l’UEMOA dans son avis n° 003 /2000 du 27 juin 2000, donne compétence exclusive à l’Union pour élaborer les normes en cette matière. Les États- Parties restent compétents pour prendre les dispositions pénales réprimant les pratiques concurrentielles, les infractions aux règles de transparence du marché et à l’organisation de la concurrence.
Ce potentiel risque de blocage et ces règles éparses applicables au droit de la concurrence apparaissent comme d’autant de raisons justifiant un Acte uniforme en droit de la concurrence. Recenser ses règles, les analyser et vérifier lesquels sont applicables dans les pays où l’on souhaite investir est loin de l’objectif visé par le Traité de Port-Louis. Ainsi, là où certains voient une inflation législative, il est possible d’y voir une nécessité pour la simplification de la vie des affaires. Le législateur OHADA ne peut plus faire l’économie d’un Acte uniforme en droit de la concurrence.
De plus, les textes communautaires précités demeurent confinés dans une approche traditionnelle de la concurrence qui demande toujours l’intervention de l’Etat pour réguler et contrôler les prix et lutter contre les monopoles dans le marché. Le législateur OHADA doit adopter une approche dynamique de la concurrence, impulsée et catalysée par l’innovation en prenant en considération les monopoles justifiés puisqu’un monopole peut être créé temporairement par l’avènement d’un nouveau produit sur le marché.
Une autre raison moins avouable de cette abstention de légiférer de manière uniforme, serait selon certains experts, motivée par la crainte de certains pays africains de faire peur aux investisseurs en leur imposant des contraintes liées à une éthique concurrentielle à laquelle ils ne s’attendent pas.
L’OHADA a pourtant comme premier objectif la hausse de l’investissement. Toutefois, la décision des investisseurs d’investir ou non est influencée par la situation juridique de cette zone à fort potentiel et c’est là toute la compatibilité d’une politique de la concurrence avec les objectifs de l’OHADA : l’une cherche à attirer les investisseurs et l’autre les rassure.
Afin d’inciter l’émergence d’un marché régional et compétitif et atteindre les objectifs mentionnés dans les premières lignes du préambule du Traité OHADA, un droit uniformisé de la concurrence qui dépasse les espaces CEMAC et UEMOA pour couvrir des pays comme la RDC et l’Union des Comores apparaît plus que jamais nécessaire.
L’uniformisation des règles de concurrence, à travers la consécration d’un Acte uniforme relatif au droit de la concurrence limiterait l’insécurité juridique, et surtout, contribuerait à l’émergence d’un vaste marché concurrentiel en Afrique.
Références :
- Politique de la concurrence dans l’espace OHADA: Nécessité normative ou inflation législative? Mostafa OUARIAGLY, Joseph Oumar Casimir DIARRA
- Droit OHADA et développement économique au Cameroun de 1995 à 2020 : contribution historique à une théorie de l’analyse économique économique du droit en Afrique subsaharienne. M. Hugues OTABELA ATANGANA